Sébastien Lecornu, le réserviste du président
Nommé ministre en juin 2017, Sébastien Lecornu s’est progressivement imposé dans le premier cercle d’Emmanuel Macron en cultivant le culte de la discrétion. Ammar
PORTRAIT – Le ministre des Armées s’est progressivement imposé dans le premier cercle d’Emmanuel Macron. Au point que certains l’imaginent succéder à Élisabeth Borne.
Envoyé spécial à Beyrouth et Deir Kifa (Liban)
Serrer toutes les mains sans en oublier une seule, improviser un discours sans s’accrocher à une fiche, accepter de trinquer autant de fois que proposé… Ces passages obligés de la politique sont parfois négligés en macronie mais pas au ministère des Armées où Sébastien Lecornu déroule, à 37 ans, une partition bien rodée.
Au milieu des 700 militaires français déployés dans le sud du Liban dans le cadre de la Force intérimaire des Nations unies (Finul), le ministre qui se dit «néogaulliste» «assume un côté vieille école». Chants militaires à gorge déployée, Marseillaise tonitruante, rites virils de l’institution parfaitement assumés… Celui qui est aussi colonel de réserve de gendarmerie – où il a cheminé avec Alexandre Benalla – se fond sans mal dans le paysage. Sous le regard amusé du général Joseph Aoun, le chef d’état-major des armées libanaises qu’il a invité à partager le repas du Nouvel An avec les Casques bleus de Deir Kifa.
Depuis qu’il a rejoint l’Hôtel de Brienne il y a 19 mois, et plus encore avec le retour de la guerre au Proche-Orient, il est devenu un interlocuteur récurrent des dirigeants retors de la région. De Doha à Tel-Aviv, du Caire à Riyad en passant par les Émirats arabes unis. Une aubaine pour ce mordu de grande politique qui a trouvé là un terrain autrement plus intense et savoureux que celui aseptisé de l’Hexagone. Quitte à occulter l’action de Catherine Colonna (Affaires étrangères), qui a cosigné le mois dernier dans La Tribune un texte avec son collègue avant de participer à un déplacement commun à Djibouti pour éteindre le récit d’une mise sous tutelle.
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Nommé ministre en juin 2017, un mois après Élisabeth Borne, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin – les doyens de l’actuel gouvernement -, Sébastien Lecornu s’est progressivement imposé dans le premier cercle d’Emmanuel Macron en cultivant la discrétion. Il n’est pas à la tête de la grande muette pour rien. Et le chef de l’État apprécie ce compagnonnage avec ce personnage qui apparaît pourtant comme son négatif.
Simplement diplômé d’une licence de droit mais assidûment formé par le militantisme dès son plus jeune âge à l’UMP, il a très vite gagné des scrutins locaux dans l’Eure (mairie de Vernon, présidence du conseil départemental) où il a grandi, où sa famille réside toujours et où des amis de lycée devenus agriculteurs débattent encore avec lui de transition écologique. Écho au premier portefeuille qu’il a occupé, de secrétaire d’État à la Transition écologique et solidaire.
«Mon département est une corde de rappel», insiste-t-il, à rebours de l’absence d’ancrage local du chef de l’État.
Loin de la Normandie, c’est depuis la résidence des Pins de Beyrouth, celle des ambassadeurs de France au Liban, qu’il a suivi les vœux télévisés d’Emmanuel Macron. Contraint pour raison de sécurité de passer la Saint-Sylvestre à l’intérieur de cet «endroit dingue» chargé d’histoire, où le général de Gaulle séjourna en 1941 et 1942, il a écouté le président promettre un «réarmement civique».
«Un vrai stratège, un renard politique»
Au moment où bruissent les rumeurs d’un profond remaniement gouvernemental, il n’en fallait pas moins pour relancer les spéculations. N’était-il pas justement chargé de mettre sur pied le service national universel (SNU), que le président rêve de généraliser?
Le trentenaire jure n’être candidat à rien, exaspéré que l’on imagine l’inverse. Il a beau être un ami proche de Gérald Darmanin, les plans de conquête divergent. Quand le Nordiste assume publiquement sa soif de promotion, le Normand se fait discret. Il fallait le voir à Tourcoing, au raout de rentrée du ministre de l’Intérieur. Présent pour ne pas vexer le patron de Beauvau mais à bonne distance de l’axe des caméras pour ne pas fâcher l’Élysée.
«C’est un vrai stratège, un renard politique», relève la députée macroniste Anne Genetet, membre de la commission de la défense nationale. «Je suis fascinée par le personnage», s’extasie l’élue pourtant venue de la gauche mais qui trouve que Sébastien Lecornu «a l’étoffe d’un premier ministre».
C’est quelqu’un comme ça qu’il nous faut. Il sait parler aux gens
Anne Genetet, députée macroniste
«C’est quelqu’un comme ça qu’il nous faut. Il sait parler aux gens», certifie-t-elle après avoir été coordinatrice politique de la loi de programmation militaire au printemps dernier. Surprise de la manière dont il a mené sa barque, en allant convaincre les parlementaires les uns après les autres. Le texte a été adopté avec les voix de la droite, qui promettait pourtant de se positionner en ordre dispersé. Le très antimacroniste Olivier Marleix a même voté pour et jusqu’aux bancs des Insoumis on faisait preuve de beaucoup de mansuétude à l’évocation de Sébastien Lecornu.
«C’est le carré magique du président: pragmatique, stratégique, loyal et de droite», illustre le député Karl Olive.
«Il n’aime pas le risque de l’exposition»
L’intéressé jure ses grands dieux ne pas vouloir quitter les armées. À quoi bon s’abîmer à la tête du gouvernement alors qu’il vit aujourd’hui la politique telle qu’il l’a idéalisée, sans les projecteurs inquisiteurs qu’attire Matignon. «Il aime les avantages de la politique sans les inconvénients», relève un conseiller de l’exécutif qui le connaît de près. Anne Genetet abonde: «La seule chose que l’on sait de lui c’est qu’il a une chienne magnifique, Tiga», dont il poste quelques clichés sur Instagram et qui accueille avec vivacité les visiteurs de Brienne.
Surtout, lorsqu’il s’installe sur les bancs du Palais Bourbon pour assister aux questions au gouvernement, Sébastien Lecornu est sidéré par «le grand décalage entre la vie politique intérieure et la politique internationale». «Il y a des débats âpres, durs, et légitimes mais qui semblent parfois nous replier sur nous-mêmes, qui nous empêchent de regarder le monde tel qu’il est», affirme le ministre qui a récemment affirmé que le «positionnement» de La France insoumise «commence à nous faire honte». Une sortie politique incisive dont il a le secret mais dont il n’use pas si souvent.
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«Les militaires respectent ceux qui s’engagent en politique mais je ne peux rien faire qui pourrait malmener ma fonction», s’excuse Sébastien Lecornu, plus à l’aise dans le dédale ouaté du Sénat où il s’est fait élire en octobre 2020. Là, à l’abri des oreilles indiscrètes, il raffole de discussions politiques exaltées où il passe en revue les travers du monde politique. Le propos est bien moins acéré quand il s’agit de commenter publiquement le panorama hexagonal ou de prendre position sur les derniers débats enflammés relatifs à l’épineuse loi immigration. «Mes fonctions me mettent à distance des questions de politique intérieure», s’excuse-t-il, l’air de ne pas y toucher.
Bruno Le Maire, dont il a été à 22 ans un très proche collaborateur pendant le quinquennat Sarkozy, a dernièrement pris des positions très fermes. D’abord en plaidant pour le projet de loi immigration tel que remodelé très à droite par le Palais du Luxembourg. «Le Sénat ne devrait pas se séparer de sa sagesse», rétorque Sébastien Lecornu, qui n’abonde pas davantage quand on lui soumet le constat dressé par le ministre de l’Économie qui a listé «la drogue et l’islam politique comme des plaies qui rongent la société française».
«Sébastien Lecornu n’est pas quelqu’un qui prend des risques. Il est resté dans le monde des collaborateurs. Il n’aime pas le risque de l’exposition. Il a le doigt sur la couture du pantalon, sans grande fulgurance. Ça peut convenir au président d’avoir quelqu’un qui ne prend pas la lumière», débine un proche comparse venu comme lui de LR…
Vernon comme horizon
En oubliant que le ministre des Armées a été très utile à Emmanuel Macron en 2019 en suggérant puis en animant le grand débat national pour sortir de l’impasse de la crise des «gilets jaunes». Un moment de bascule qui lui a fait gagner des galons à l’Élysée. Peut-être parce que cette proximité conquise par le plus jeune des trois ralliés de LR est jalousée, il est parfois dépeint comme «un Jean-Pierre Raffarin avec 20 ans de moins» pour mieux mettre en exergue le côté rond (ou lisse) du personnage.
Sur la terrasse ensoleillée de l’ambassade de France à Beyrouth, le ministre des Armées préfère prendre la remarque tel un compliment. Et s’embarque dans la foulée dans une liste de louanges appuyées. Autant pour Gabriel Attal (Éducation nationale) – dont il a pourtant été dit qu’ils étaient rivaux -, que pour Élisabeth Borne dont il salue la solidité alors qu’elle se trouve aux antipodes de sa conception de la vie politique. La trêve de Noël semble propice à la paix des braves.
Alors que François Bayrou, comme une écrasante majorité de responsables macronistes, juge qu’une nouvelle impulsion doit être donnée au quinquennat après la crise politique autour de la loi immigration, Sébastien Lecornu relativise. «C’est une injure faite aux pères de la Constitution que de dire que nos institutions sont bloquées. Ce n’est pas vrai. Les mots ont un sens et, puisque nous sommes ici au Liban, voilà un endroit où les institutions sont réellement bloquées», argue-t-il. Et le manœuvrier d’estimer que «la majorité relative de Michel Debré pendant la guerre d’Algérie c’était bien plus difficile qu’aujourd’hui». «Plus personne n’a de culture historique», peste le trentenaire, qui a «grandi avec le mur de Berlin déjà tombé».
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Inutile de lui suggérer qu’après six années de progression éclair au gouvernement, il pourrait être tenté par d’autres cieux. La seule échéance pour laquelle il accepte de faire un pas a trait aux municipales de 2026. «À Vernon, c’est un rendez-vous qui peut potentiellement me concerner», souffle celui qui a embarqué dans sa délégation au Liban François Ouzilleau, à qui il a laissé les clés de la mairie en 2015.
L’échéance, encore lointaine, sera un test puisque toutes les circonscriptions du département ont basculé au Rassemblement national en 2022. Ce que ne manquent pas de rappeler les adversaires du ministre. D’ici là, il promet de s’impliquer, à sa manière, dans la campagne des élections européennes. «Tous les partis n’ont pas compris que les chancelleries de Moscou, Pékin et Téhéran regarderont ce qui ressort des urnes des européennes».
Des députés ont déjà pris contact pour le faire venir en circonscription. De nature à se révéler davantage auprès du grand public? Il y a près de vingt ans, Jean-Pierre Raffarin quittait Matignon sur l’échec du référendum européen. Séguiniste convaincu, le jeune Sébastien Lecornu venait alors de glisser son premier bulletin de vote en faveur du texte.